lundi 20 août 2012

Pas de bras, pas de chocolat (ou en anglais, no money; no honey)

L’une des spécificités du marché français, c’est que la trésorerie des clients est aux mains des sièges des réseaux.

Je t’explique : les réseaux (qu’ils soient volontaires ou intégrés) paient les TO après le retour des clients. Pourtant, les clients ont payé avant le départ. Tu connais la règle : « pas de bras, pas de chocolat » : si le client ne te paie pas avant son départ, tu ne lui donnes pas son carnet de voyage. C’est comme ça…

Donc, quand le client t’a versé 25% d’acompte à la commande (disons J-90 par exemple, on fait comme si les VDM n’existaient pas…) et le solde un mois avant le départ, ton agence a de la tréso : 25% du montant du voyage de J-90 à J-30 puis 100% de J-30 au moment où elle se décide à payer le fournisseur.

En Belgique ou en Allemagne, le client qui s’inscrit dans une agence de voyages paye le TO… qui rétrocède ensuite une commission à l’agence. Et le TO belge ou allemand a la tréso que le TO français n’a pas (et après, on s’étonne que les TO du nord de l’Europe peuvent prépayer les chambres dans les meilleurs hôtels pour se garantir des stocks…)

En France, quand une agence est membre d’un réseau volontaire, elle est prélevée par la centrale de règlement de son réseau quelques jours avant le départ. Pas de risque d’impayé pour le TO… Et si le TO plie entre le prélèvement de l’agence (par son réseau) et le moment du départ, les dégâts pour l’agence sont limités puisque la centrale de paiement a encore l’argent… du coup, elle peut pallier la défaillance du TO fournisseur…

Un jour, j’avais demandé à Big-Boss s'il était bourré quand pourquoi il avait décidé d’adhérer à un réseau. Il m’avait expliqué que quand il avait pris cette décision pour plusieurs raisons :

- parce que les compagnies aériennes accordaient aux réseaux des tarifs négociés auxquels on ne pouvait pas avoir accès si on était indépendants,

- parce que de nombreux fournisseurs (et pas seulement les compagnies aériennes) rétrocédaient des surcommissions au montant carrément indécent substancielles,

- parce que justement, la centrale de paiement ne payait le fournisseur qu’après le retour du client. Du coup, si un hôtelier prend l’un de nos clients en otage en lui réclamant le paiement de nuitées impayées par un TO, l’agence peut faire intervenir son réseau qui peut payer le prestataire.

D’ailleurs, on se souvient que c’est lors de la faillite de Marsans que le CEDIV s’est décidé à trouver une centrale de paiement. On était en janvier, la saison battait son plein sur la Rep’ Dom’, les agences avaient réglé à Marsans des dossiers avant le départ (et le long courrier, c’est cher…) et les agences se sont retrouvées avec des clients plantés… échaudé, quelques mois plus tard, le CEDIV a passé un accord avec la centrale de paiement d’AS Voyage.

Dans le grand débat « qui a le pouvoir, les TO ou la distribution ? », la réponse est clairement « les sièges des réseaux ». J’ai entendu bien des fois des TO se plaindre d’un vrai racket de la part des réseaux : ils réclameraient des surper-comm’ et des fonds marketing de plus en plus importants dont on ne sait jamais comment ils sont utilisés, un ou 2% en plus pour assurer le fonctionnement des centrales de paiement… que les TO, exsangues, auraient de plus en plus de mal à financer…

N’empêche qu’ils n’ont pas vraiment le choix : lorsqu’un TO est déréférencé par un réseau, son chiffre fond comme neige au soleil.

J’en viens au cas d’STI.

Mardi dernier, le 14 août, alors que l’on sombrait dans la douce torpeur d’une semaine bien mollassonne, le siège d’un réseau annonce qu’STI « ne peut plus assurer ses prestations ». Le réseau indique aussi qu’il aidera ses agences adhérentes « à assurer le bon déroulement du voyage de [leurs] clients avec le même fournisseur ou avec les réceptifs référencés par le réseau » Stupeur.

Je lance l’enquête. Les mauvaises langues diront que je mérite un diplôme de concierge pour toujours chercher les infos. Les plus gentils diront que je mérite une carte de presse pour avoir la conscience d’une vrai pro de l’investigation qui cherche à bien recouper les infos.

Des agents d’un (autre) réseau m’ont dit mardi que « depuis longtemps, des rumeurs circulaient sur [le forum du réseau en question] à propos des difficultés d’STI : un peu partout, des hôteliers réclameraient depuis des mois aux clients d’STI de payer les prestations sur place ». Un patron d’agence m’a même dit « si les journalistes du secteur font bien leur boulot, ils ont préparé la nécro d’STI depuis deux ans, et l’actualisent de temps en temps comme pour Chirac ou Liliane Bettancourt. Comme ça, elle est prête le jour de la faillite ». Elégant…

En tout cas, j’ai beau avoir des oreilles qui trainent partout, je n’avais jamais entendu ce genre de rumeurs (même si on sait tous que plus grand monde ne part en Egypte et que l’Egypte est LA grosse destination du TO…)

Comme je ne recule pas devant rien, j’ai contacté des gens avec qui j'ai un peu flirté que je connais chez STI. Et bien figurez-vous que quand on leur envoie des mails, ils répondent… Un bon point !

Je ne fais pas ici du colportage de rumeurs : je restitue ce qu’on m’a écrit. L’un des salariés d’STI qui a répondu personnellement à mon e-mail me dit qu’STI n’est pas en cessation de paiement : STI a une « difficulté passagère de trésorerie, STI attend un virement de son actionnaire égyptien mais en ce moment, les banques égyptiennes ne fonctionnent pas très bien et ce mouvement de trésorerie est en retard. »

Ce contact chez STI se plaint aussi que les sièges de réseaux ont en caisse beaucoup d’argent qui « appartient » à STI puisque les réseaux ont encore l’argent des départs de juillet et d’août.

STI aurait justement sollicité les réseaux pour obtenir un paiement anticipé pour palier cette fameuse « difficulté passagère de trésorerie ». Non contents de refuser de faire ces paiements, de « multiples rumeurs » ont été colportées… erronées selon mon contact chez STI.

Selon une agence indépendante (il en reste…), cette décision des réseaux serait une manœuvre de leur part pour prouver aux agences indépendantes de l’intérêt qu’elles ont à adhérer à un réseau qui bénéficie d’une centrale de paiement.

Alors qui est fautif ? Les réseaux ? STI ? Le système bancaire égyptien ? Et tout cas, mon contact chez STI a terminé son e-mail par une phrase très positive « nous ferons tout pour que les vacances de nos clients se passent bien et STI continuera »

En tout cas, à l’heure où les contrats de référencement sont en cours de négo dans bien des réseaux, le combat s’annonce rugueux…

Parce que je me mets à la place des TO qui préfèrent vendre en direct que via les agences qui bloquent l’argent : quand tu vends en direct, tu prends 25% d’acompte à l’inscription, le solde 30 jours avant le départ, et tu n’as pas de risque que quelqu’un bloque tes fonds… et si tu n‘as pas le paiement, tu ne donnes pas de carnet de voyage : « pas de bras, pas de chocolat ».

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