Je viens de vivre une semaine traumatisante. Je ne sais pas quel est le ministre de l‘éducation tordu et maléfique qui a inventé le concept de « on va montrer aux jeunes ce que c’est qu’une entreprise » mais je suis flanquée depuis lundi d’une pimbêche de quatorze ans… explications :
En troisième, les gamins doivent faire un stage d’observation en entreprise. Fin du premier trimestre. Il neige. Il fait froid. Et à part (à peine…) les dix jours de vacances à la Toussaint, les pauvres choupinets sont au collège depuis plus de trois mois. Ils sont épuisés et avachis… et on nous les envoie admirer la force vive de la nation en pleine action…
Que voulez-vous qu’ils fassent à quatorze ans en entreprise les pauvres chéris ? Ben… ils sont des boulets.
Laissez-moi vous décrire la Cholé qui nous colle depuis le début de la semaine et qui regarde des cartes depuis lundi avec la bouche entre-ouverte (oui, l’ado’ de 2010 gobe les mouches) :
Mèche. Jean slim. Force bijoux de pacotille. Air fatigué. Portable à portée de main (elle envoie et reçoit des SMS toute la journée). Bâillements aux corneilles. Quand par hasard elle s’intéresse à quelque chose, elle dit « c’est frais »… Sinon, elle tape des codes aéroports au pif sur Amadeus et cherche ensuite à les placer sur une carte. Cette fille est une maniaque des cartes…
Chloé est la fille d’un pote de big-boss. Gros client (entreprise et privé). Et Cholé aimerait devenir agent de voyages. Alors son patron de père a demandé ce « service » à Big-Boss. Qui ne peut rien refuser à ce client…
Elle m’avait déjà énervée en septembre quand elle était passée à l’agence avec sa mère pour acheter un forfait Thaïlande « en famille pendant les vacances de février ».
J’ai appris petite (je déteste les chiens…) qu’il ne fallait pas montrer aux animaux que vous ne les aimez pas, sinon ils vous mordent. J’ai adopté la même tactique avec Chloé. Je l’ai brossée dans le sens du poil. J’ai essayé de la faire parler un peu… de ce qu’elle voulait faire quand elle serait grande… tout ça…
Bizarremment, Cholé veut voyager. J’aurais dû parier… Mais elle a des idées très arrêtées : elle ne veut pas voyager dans les pays pauvres. Elle trouve que New-York dégage une très belle énergie. Elle a adoré les parcs animaliers au Kenya mais se souvient avoir « traversé des villages avec des gens très maigres et très pauvres
» ; elle était mal à l’aise. Elle a préféré le bel hôtel à Mombasa. Elle a peur que l’hôtel que je lui ai réservé pour février soit « un peu bas de gamme ». Chloé avait choisi autre chose (de mieux) mais n’a pas réussi à convaincre sa mère. Ça dépassait son budget…
La relève est assurée…
Enfant, Cholé voulait être hôtesse de l’air. Mais elle a mûri. Elle veut faire profiter autrui de ses expériences de voyages. Ne sait pas si elle bossera en agence. Parce qu’après 4 jours, elle a compris que les clients sont encore plus pénibles que ce qu’elle avait imaginé (tu veux que je te parle de ta mère, choupinette ?). Elle aimerait plutôt écrire pour des magazines de décoration ethnique et de voyages. Rien que ça…
Aujourd’hui, on a eu un moment de répit à l’agence… Pour la première fois depuis le début de la semaine, elle a arrêté de parler d’elle, de ses voyages et de ses parents (elle met son père sur un piédestal et méprise sa mère… grâce à ce genre de famille, les psy’ ne seront pas tout de suite au chômage…) et m’a posé des questions. En fait, je crois qu’elle commence à comprendre qu’être agent de voyages, c’est un vrai métier compliqué… De là à dire que je suis son idole, il ne faut pas exagérer…
Je n’ai pas réussi à répondre à sa question « pourquoi as-tu voulu être agent de voyages ? ».
Petite, je voulais être femme de ménage. J’étais fascinée par la propreté. A la maison, sans rien dire à personne (et en cachette), je frottais les carreaux de la salle de bains ou je nettoyais les vitres. Les vitres, c’était ma passion. J’étais comme une folle et tirais une véritable satisfaction à voir accomplie la tâche « il faut que ça soit impec’ ». Un challenge quotidiennement renouvelé. Le fait que personne n’était au courant de ce défi était encore plus fort : je ne me battais que contre mes propres limites.
A 8 ou 9 ans, j’avouais ma passion et ce but ultime de ma vie de professionnelle : mon bonheur passerait par l’odeur d’encaustique, la transparence absolue des vitres, la lutte jusqu’au-boutiste contre la poussière. Comme Poutine qui voulait traquer les terroristes tchétchènes « jusque dans les chiottes », je serai la garante de la pureté des sols.
Lasse, ma pauvre mère se désolait. J’étais une très bonne élève. Assez brillante même. Et puis j’avais un comportement de leader. J’ai été élue déléguée de classe haut la main toutes mes années collège. Pour elle, je ne pouvais pas être femme de ménage. Ça allait me passer…
Elle avait malheureusement raison : en 4ème, coup de théâtre. J’ai défini la nouvelle orientation que je voulais donner à ma carrière : je ne serai pas la femme de « Monsieur Propre ». (C’est peut-être ce jour là que j’ai enfin compris que le trio marcel blanc-crâne rasé-boucles d’oreille n’était pas compatible avec une vie de couple harmonieuse).
J’avais trouvé mieux : je serai « Lady Bigoudis ». La révélation a eu lieu au carrefour des métiers du collège. Nos parents étaient venus en nombre parler de leur job. Maman était mère au foyer (elle n’est pas venue parler de ses activités de desperate housewife), Papa banquier (il l’est toujours le pauvre…) : ce jour là, mes parents n’ont pas brillé…
En revanche, j’ai été fascinée par la mère de ma copine Sabrina. J’ai eu une véritable révélation : Elle était beeeelle ! blonde, outrageusement maquillée, précurseur de la French manucure (à l’époque, on n’en entendait pas parler…) et elle avait des bottes et une ceinture avec des strass incrustés. Clair qu’à Saumur (oui… j’ai grandi à Saumur…), elle en jetait la mère de Sabrina ! En plus, elle était divorcée. Donc libre. Et très très femme… (if you see what I mean…)
La mère de Sabrina gérait un salon de coiffure et d’esthétique. Un rêve de dinde. Beaucoup de rose… des brillants partout. Une boutique à son image, quoi… au carrefour des métiers du collège, la mère de Sabrina était venue avec une espèce de valisette. Dedans, mon rêve : un fer à friser, du vernis à ongles, et des crèmes de toutes les couleurs dans des tubes assortis.
Elle a proposé aux gamines de ma classe de 4ème de faire une démo. Je me suis précipitée telle la pauvreté sur le monde… Là, devant toute la classe, la mère de Sabrina m’a fait une pédicure ! Les autres gamines du collège auraient tué pour être à ma place… Elle était Marie-Madeleine devant le Christ et moi, j’étais la plus belle du monde. Après, elle m’a maquillée et coiffée. Un vrai bonheur. Quinze ans après, je suis toujours accro’ aux spas… moins à ce qui brille…
A cause de la mère de Sabrina, en fin de 3ème, j’avais choisi la filière « BEP esthétique » qui m’a été refusée. La première de la classe ne pouvait pas être orientée en BEP. J’en ai conservé une haine pour mes parents et l’éducation nationale pendant toute la classe de seconde. Jusqu’à oublier l’esthétique pour sombrer dans la littérature parce que j’étais amoureuse de mon prof ‘ de français.
Ensuite, la ligne a été droite jusqu’au bac puis hypokhâgne (qui a révélé qu’à un moment, j’avais atteint mes limites…) et un BTS tourisme dans une horreur de lycée catho’ où Chantal F. (ma prof’ adorée de tourisme) a repéré en moi la future brillante agent de comptoir que je suis devenue. Telle une chrysalide, c’est dans mon stage de BTS que je me suis totalement révélée papillon de comptoir. La première « chef d’agence » de la Léa stagiaire s’appelait Agnès. C’est en fait elle plus que n’importe qui d’autre qui m’a donné le goût de ce métier. Merci Agnès ! La suite, vous la connaissez…
Alors… si Cholé devient la rédac’ chef du futur magazine des voyages tendance, elle me dédicacera peut-être son premier édito : « à Léa qui m’a laissé taper des codes 3 lettres au hasard sur Amadeus en décembre 2010 ». Et là, je serai fière de cette petite peste. En attendant, elle m’a promis qu’elle viendrait avec sa mère chercher son carnet de voyages mi-janvier à l’agence. D’ici là, elle aura potassé tous les guides sur la Thaïlande et me posera plein de questions pour s’assurer de la parfaite réussite des vacances de la famille.
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