Selon les dernières statistiques (en données corrigées des variations saisonnières, du réchauffement climatique et des humeurs de mes copines), le secteur des agences de voyages a détruit 4000 emplois ces dix dernières années. On lit cette phrase, on marque une pause et on pousse une exclamation : « waouh ! »
J’ai fait une véritable recherche documentaire. C’est qu’il fallait que j’essaie de comprendre le pourquoi du comment. Il y a plusieurs raisons possibles. Bien entendu, les experts consultants
1. c’est à cause de l’accroissement de la productivité :
Vous connaissez tous ce bon mot qui tourne partout sur le web : « Je peux calculer des prix pour 3 personnes différentes en même temps. Je peux m'occuper de 5 réservations dans 5 systèmes de réservations simultanément et répondre en même temps à 5 téléphones. Je parle toutes les langues utilisées sur cette planète, et j'ai visité tous les pays personnellement.
Je connais chaque plage et chaque hôtel et je suis au courant de toutes les formalités douanières pour tous les pays (…). Je suis responsable pour tous les repas servis à bord des avions, des retards aériens, pour les voitures de location en panne, pour les avions cloués au sol pour des raisons techniques, pour les conditions climatiques, les guerres, les révolutions, etc...
Je suis responsable pour la situation économique ainsi que des éventuels cours de change désavantageux. Je sais que si vous réservez un vol pour le vendredi, vous vouliez dire samedi. (…) je peux aisément remplacer votre psychanalyste (…) Je suis agent de voyages. »
Je ne sais pas vous… mais moi, je me reconnais. Grâce au progrès informatique, aux sites B2B merveilleux qui ne marchent pas cherchent tout pour vous, à l’invention de l’e-ticket (on ne passe plus des heures à vérifier 12 fois qu’on n’a pas oublié un coupon ATB), on va plus vite…
(ne me remercie pas de t'avoir fait écouter de la grande musique, ça me fait plaisir de te contribuer à ma façon à ta culture)
Forcément, quand on va plus vite, on peut faire autant avec moins de bras et moins de cerveaux. Alors, on peut faire tourner une agence à 3 au lieu de 5. Toutes les agences ne licencient pas mais beaucoup « ne remplacent pas les départs ». Question de survie. En trois mots : « marche ou crève ».
2. C’est à cause de la désintermédiation :
Forcément, depuis que les clients réservent leurs voyages sur les sites des pure players, des chaines hôtelières, via les métamoteurs ou chez les TO (voire chez les réceptifs en direct), ils n’ont plus besoin s'affranchissent des agences de voyages. Enfin, si… pour les conseils infaillibles qu’on va leur donner. Mais comme ils n’achèteront pas chez nous, ça ne fait pas de chiffre. Et nos Big-Boss nous disent « le chiffre est en baisse, on ne peut pas embaucher, il faut accroitre notre productivité » (on revient au point 1…)
3. C’est la faute à la crise :
On va essayer d’arrêter de se mentir : depuis 4 ans (et c’est chaque année pire encore), le business s’effrite chaque fois un peu plus. Les gens sont limite des clochards ne partent pas en vacances. Ou pas loin et pas longtemps. On est 8 à pleurer notre race transpirer sang et eau chez Big Boss Voyages et il n’y a que Max (en Espagne) et moi (en Grèce) qui sommes partis à l’étranger cet été. Et je le vois chez mes copines et même chez nos clients. Cet été, pour nombre d’entre eux, c’était « 15 jours en location » assortis de « quelques week-ends prolongés à squatter chez des potes à la campagne ou au bord de la mer ». Ce qu’on appelait « Paris ville déserte au mois d’août », je ne l’ai pas vu cette année ! A croire que les gens n’ont pas de vacances.
Du coup, comment se porte le marché de l’emploi ? Ben je vais vous dire : Mal. Des deux côtés. Il faut se rendre à l’évidence : il y a inadéquation entre l’offre et la demande.
Je vous donne comme ça, en vrac, quelques exemples…
1. Les gens ne se respectent pas :
La semaine dernière, j’ai lancé une enquête via ma page Facebook : je voulais des anecdotes. Caroline (cette petite est pleine de bon sens) déclare simplement : « tant que tu acceptes un CDD, un salaire au SMIC et des clients relous, tu trouves ». Bien résumé !
Sauf qu’Aurore serait prête à accepter un premier job en CDD et payé au SMIC. La preuve : elle a passé 1h30 dans les transports en commun pour son premier entretien. Elle s’est déplacée pour s’entendre dire qu’elle habite trop loin (euh… son adresse était sur son CV), qu’elle n’a pas assez d’expérience (ça aussi, c’était sur son CV) et que le pompon, c’est que le recruteur lui annonce qu’elle « n’a pas choisi la bonne branche car le secteur est fermé ». Fermé par qui et par quoi, cher Monsieur ?
Sylvie, de son côté, se plaint d’avoir passé une annonce et d’avoir attendu en vain des CV… finalement, elle en a reçu 6 « tous mauvais ». Elle a pourtant proposé des rendez-vous aux deux candidats qui avaient l’air les moins pires : le garçon était très à l’aise (avec les pieds sur le bureau), la fille a déclaré en fin d’entretien « je vous rappelle la semaine prochaine, ça pourrait être pas mal mais vous n’êtes vraiment pas ma priorité ».
2. Chez Big-Boss Voyage, on remplace une vendeuse confirmée niveau E par un contrat de qualif’ :
Quand Coralie est partie accoucher de son horrible gnôme Melvil, on était un peu en flux tendu à l’agence. Du coup, on avait embauché le schtroumpf à lunettes Jeff, on avait l’impression qu’il « remplaçait » Coralie et puis quand elle est revenue, il est resté. Bilan : +1. En gros, en attendant que Coralie parte en congé mat’ pour embaucher Jeff, Big-Boss avait juste retardé la création d’un poste supplémentaire. Malin…
Là, pour remplacer Coralie lors de son prochain rôle (« Alien II, la délivrance »), on a embauché un petit contrat de qualif’. OK, c’est un peu sale comme méthode… Elle va coûter à Big-Boss la moitié du misérable salaire de Coralie. Du haut de ses 19 ans et demi, Mélody comprend tout au quart de tour, certes… mais elle est loin d’avoir le niveau pour remplacer une vendeuse confirmée niveau E… alors qu’est-ce qu’on fait ? On bricole… Mélody va taper les devis, émettre les billets, créer les pochettes de voyages, réserver le train pour les sociétés, faire les factures… bref, les basses besognes ! Mais elle va apprendre, alors elle ne se plaint pas. D’ailleurs, quand elle va entrer à l’école dans 15 jours, elle sera déjà parfaitement opérationnelle sur Amadeus Rail… Pendant ce temps là, on a une vraie vendeuse en moins à l’agence… et on se sert les coudes. Voir le point ci-dessus « amélioration de la productivité ».
3. Chez les TO, on recrute des commerciaux… au SMIC :
Je vous raconte la life de mon Nico. Certes, il est à peine majeur n’a que 25 ans, mais il parle anglais, le langage du corps comme personne et italien couramment, il a 5 ans d’expérience dans le service, il est canon beau comme le jour, il connaît de très près une agent de voyages diabolique qui lui a fait des formations intensives de culture touristique sur l’oreiller et même une formation Amadeus Air digne des meilleures écoles de tourisme (il fallait bien que je m’occupe intelligemment, toute seule, les samedis du mois d’août à l’agence)
Outre ses pectoraux d'acier, son sourire et son regard, Nico a de nombreuses qualités essentielles pour devenir une bête de commercial tourisme : il est attentif, patient, charmeur, il respecte les délais, ne laisse aucune question sans réponse et saura embobiner n’importe quelle gourdasse agent de voyages (j’en suis… comment dire… la preuve chaque jour renouvelée). Et bien figurez-vous que plusieurs TO recrutent en ce moment. A 1500 € bruts x 12. Trop généreux ! Alors mon Nico reste au chômage avec ses 1680 € d’allocation de retour à l’emploi par mois. Du gâchis pour tout le monde…
4. Les stagiaires, ça travaille bien et ça ne coûte pas cher :
Je connais des boites où il y a plus de stagiaires que de salariés. Quand j’étais en BTS, j’ai fais un stage de 3 mois dans une boite de ce genre. La fille qui m’encadrait était complètement comme un hamster dans sa cage débordée. Elle gérait une équipe de 8 personnes dont 6 stagiaires. Elle n’avait jamais le temps de ne rien faire et encore moins de nous aider. Entreprises pleines de stagiaires, interrogez sur l’image que vous donnez à ces futurs-pro… ce genre de pratique révèle l’Arlette Laguiller qui sommeille en moi, prête à bondir.
Bon… Léa est votre amie et va vous aider à lire une offre d’emploi ! ça fait deux mois que je fais ça avec Nico alors je vous fais profiter de mon expertise… Quand vous regardez une offre d’emploi, si vous n’avez que google translate pour traduire, vous n’allez pas comprendre. Moi, je suis bilingue en langage de bâtard d'exploiteur recruteur et je vais vous expliquer… (toute ressemblance avec des offres d’emploi publiées sur votre portail préféré ne serait peut-être pas que le fruit du hasard…)
Quand vous voyez… "agence en forte expansion" ; il faut lire "casseur de prix qui veut acheter des parts de marché mais qui ne cherche pas la rentabilité"
Quand vous voyez… "recherche un chef des ventes, deux attachés commerciaux, un superviseur de réservation, des agents de vente, un comptable" il faut lire "suite au départ théâtral de la moitié de l’effectif (sans préavis et en claquant la porte)
Quand vous voyez… "excellente présentation", il faut lire "on cherche une potiche"
Quand vous voyez… "autonomie, bonne capacité d’organisation", il faut lire "capable de s’adapter à une boite sans méthode ni procédure ; il faudra que tu te débrouilles tout(e) seul(e)"
Quand vous voyez… "résistance au stress", il faut lire "tu dois être drogué(e) bourré(e) de tranquillisants pour ne pas devenir fou/folle"
Quand vous voyez… "vous aimez vendre au téléphone", il faut lire "ton brushing sera écrasé par un casque de 2 kilos"
Quand vous voyez… "salaire motivant", il faut lire "tu seras payé au SMIC et il faudra te défoncer pour avoir une prime de 60 € (bruts…)"
Quand vous voyez… "salaire très motivant", il faut lire "tu seras peut-être payé uniquement à la commission"
Quand vous voyez… "poste à pourvoir immédiatement", il faut lire "le staff qu’on n’a pas licencié est au bord de la crise de nerfs et menace de tout casser si on ne lui apporte pas du renfort"
Quand vous voyez… "opérationnel tout de suite", il faut lire "on n’aura pas le temps de te former à quoi que ce soit, ne rêve pas. Tu arrives dans l’entreprise et tu fonces. Tu apprendras sur le tas"
Quand vous voyez… "envoyer lettre manuscrite", il faut se demander "à la plume d’oie ? Mets-toi à la page, employeur : on a inventé le clavier"
Voilà... ma life en ce moment : gérer l’activité de l’agence (certes, un peu faible…) avec une vendeuse en moins au comptoir, assurer la formation d’une petite débutante, coacher un chômeur, tout en sachant que je n’aurai pas une journée de vacances avant le retour de Coralie, en février.
Franchement, au risque de me répéter, « on fait pas des métiers faciles ».
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