mardi 23 octobre 2012

On est tous en train de crever... et personne n’y peut rien !


Je ne suis pas voyante, mais au mois de juin (il y a quatre mois, donc un siècle…), j’avais titré « ça sent le sapin ». Là, à l’orée de l’automne, je dirais même davantage « ça sent tellement fort le sapin que ça m’en donne mal au crâne »

Les odeurs de mort et de sapin m’entêtent. J’avais commencé à faire une liste des ces TO en sursis moribonds, de ces compagnies aériennes fragiles, ces distributeurs qui ne tenaient qu’à un fil et qui ont vu le fil se rompre. Mais depuis dix jours que je veux écrire cette chronique, je n’arrête pas de compléter, raturer, ajouter des prestataires qui sont en train d‘agonir.

Et tout est lié. Depuis cette exposition de prix barrés, de promesses de « vol à 1 € », d’enfants gratuits, de taux de réduction faramineux… plus aucun client n’a de repère prix.

On ne voit partout que promotions, prix barrés, soldes, bonnes affaires et offres magiques. La récente chronique de François Weill dans TourMaG m’a interpelée : discounter la croisière reviendrait à dégrader le produit. Elémentaire, non ? Cette « nouvelle clientèle » avide de prix n’a pas les moyens de payer des extra, se présente à la soirée du commandant en survet' dégueu tenue de sport, et du coup, la clientèle « historique » des croisiéristes part voir ailleurs.

Merci d’avoir ouvert un œil. Ça se passe comme ça dans le secteur de l’hôtellerie depuis des années. Quand je vois des hôtels 5* se lancer dans des promotions folles et faire du all inclusive, ça me fait mal. Surtout quand ces offres sont distribuées sur des sites web de déstockage (vous voulez des noms ?) et que n’importe qui peut acheter n’importe quoi en trois clics. J’évoquais ce douloureux problème la semaine dernière.  

On est tous en train de crever, et personne n’y peut rien. Et chaque prestataire qui faille entraîne dans sa chute ses clients et fournisseurs. Dans un monde où tout le monde travaille avec tout le monde, la mort de quelqu’un te rapproche inexorablement de la tienne. Tu sens le souffle rauque de la faucheuse sur ta nuque ? Méfie-toi, elle se rapproche.


Allez, je me lance dans un petit inventaire à la Prévert : 

Lufthansa, l’ex compagnie aérienne modèle d’Europe transfère son activité moyen-courrier à sa filiale à bas coûts Germanwings. Seules les liaisons au départ de Francfort, Munich et Berlin restent opérées par Lufthansa. Les liaisons point à point depuis les villes moyennes allemandes passent chez Germanwings.  Casse sociale en perspective. Pour les PN, c’est tout de suite « travailler plus pour gagner moins »  

Hello, compagnie charter suisse a déposé son bilan cette semaine en raison « de l’incapacité de paiement de deux gros clients français ». Euh… on peut avoir des noms s’il vous plait ? Histoire de ne pas payer les TO en question tant que nos clients ne sont pas partis / revenus ? 

Je vous rappelle la situation en Espagne ? Malgré la faillite de Spanair cet hiver, Air Europa baisse ses capacités et rend des avions. Et Easyjet, l’ex star du ciel espagnole ferme sa base de Madrid et tous ses vols intérieurs en Espagne continentale. Circulez, y’a (presque) plus rien à voir.

Tiens… tant qu’on y est avec l’Espagne et les compagnies aériennes, on parle de Travelplan ? Les filiales française et italienne ferment. Là. Maintenant. Au 31 octobre. Comme ça. Propre. Plus rien. Il nous reste qui comme TO spécialiste de l’Espagne à la carte ? Personne.

On peut parler de FRAM ? Selon Marie-Christine Chaubet, il faut 30 millions tout de suite pour sauver l’ancien fleuron du tour-operating indépendant français et 30 autres millions très vite pour relancer la vieille machine grippée. Georges Colson ne dit rien, comme ça il ne peut pas dire (comme d’hab) le contraire de ce que dit sa demi-sœur. Et NF (allégée de 30% de son personnel parti voir ailleurs si il y avait davantage de travail) sans ses clubs, c’est toujours NF ? 

On parle de Thomas Cook ? Non, pas Thomas Cook, on n’a pas le droit. Thomas Cook est cotée en bourse alors si j’annonce de mauvaises nouvelles à son propos, le cours va baisser et ça va être de ma faute. N’empêche qu’un gentil banquier a offert à la vieille dame british une ligne de crédit. Qui l’a requinquée.

Comme STI. Jusqu’à quand ?

Et Kuoni ? Vous vous souvenez qu’il y a un an, le TO suisse rachetait le TO belge Best Tours pour la modique somme de 700 000 € ? (soit la bagatelle de 130 000 mojitos). Pile un an après, la marque Best Tours est abandonnée. Adieu 700 000 €, production et équipe commerciales, seaux de mojitos et ambitions de développement. De toute façon, Kuoni se retire de 4 marchés européens. Fin.

Je ne m’étendrai pas  sur la faillite de la petite agence de quartier. Ça me donne envie de pleurer à chaque fois et l’exemple est duplicable à l’infini. Je souhaite tout de même revenir sur ce qu’il convient d’appeler un « mini réseau ». Mini ? Laissez-moi rire (ou plutôt pleurer). C’est jusqu’à combien « mini » ? 

Alpilles Voyages, la bagatelle de 30 points de vente et 57 salariés, SOIT près de 1% des points de ventes agences de voyages de France a été liquidée la semaine dernière. Un coup de javel pour nettoyer par le vide ce qui sentait encore la lavande il y a quelques jours et d’ici trois mois, tout le monde aura oublié Alpilles Voyages. Tu ne me crois pas ? Tu te souviens de Wasteels ? Tout le monde a oublié Wasteels.

Et les stars du sur-mesure ne vont pas bien. VDM (dont les communiqués brillent d’habitude) annonce la fermeture de son agence de Caen et la déprogrammation de l’ouverture de celle d’Orléans. « en 2013, on va faire le dos rond » déclare Jean-François Rial. Ben tiens ! en ce moment, qui pourrait fanfaronner ?

Tout le mois de novembre, les conventions des réseaux d’agences de voyages vont se succéder. Tout le monde va faire semblant de bien travailler. Jusqu’à quand ?
On est fragiles. Tous. Il ne manquerait plus qu’un drame de plus pour qu’encore nombre d’entre nous tombe comme au temps des famines ou des grandes épidémies.

Que nous réserve l’hiver ? Une révolution, une épidémie, une catastrophe naturelle ? Les pilotes d’Air France (et une certaine catégorie de personnel de la SNCF) vont tenter d’accélérer les choses en nous lançant une petite grève bien moisie au départ des vacances scolaires de la Toussaint. Ça devrait bien en fragiliser quelques dizaines de plus…

Et pendant ce temps là, nos « anciens clients » réservent sur Groupon ou sur Expedia. Et nous ? On ressort nos petites robes noires sobres et classiques et on cherche comment attacher une mantille. Je suis désolée de ne pas vous faire rire aujourd’hui, mais je n’ai pas le cœur à ça. 

vendredi 12 octobre 2012

Léa va te piquer ta clientèle friquée


Je ne sais pas si vous avez remarqué, mais en ce moment, on ne parle que de voyages au rabais, de bons plans, d’offres discount, de promo et de bonnes affaires. Et ben franchement, quitte à passer pour une râleuse, ça me saoule. N’importe qui achète n’importe quoi, et surtout, le revend à n’importe qui à n’importe quel prix !

Il faut trouver le client où il est. On est d’accord. Mais pas à n’importe quel prix.

Il y avait un temps heureux où les gens qui voulaient partir en vacances allaient dans une agence de voyages. Qu’elle soit dans la rue, sur le web ou dans un centre commercial, c’était simple : elle venait. Maintenant, il faut savoir la provoquer, la chercher avec les dents l’interpeller.  

Parce que désormais, les gens achètent leurs voyages n'importe où : dans leur CE, chez leur assureur ou leur banquier, sur des sites web de ventes plus ou moins privées, via des comparateurs, dans des journaux ou sur des plates-formes de réceptifs bizzaroïdes. Bref, les clients s’engagent auprès de quelqu’un qui ne sait pas de quoi il parle, mais qui leur promet un « bon plan ». 

Demain, ils achèteront sur Facebook ou avec leur téléphone portable en flashant des QR codes. Ben franchement… je me suis réveillée ce matin et je me suis sentie périmée vieille.

Ces gens qui achètent des prix barrés, des taux de réduction, des « payez 5 nuits, les 2 suivantes sont gratuites », ils achètent quoi ? Juste un prix. Et il faudrait qu’ils comprennent que quand ils achètent un prix, ils n’en ont que pour leur argent. Pas davantage.

Je suis la première à ne pas défendre le système traditionnel où le client achète ce qu’une agence de voyages achète à un TO qui achète à un réceptif. Je ne vais pas jouer à chercher qui est fautif (je suis trop grande pour le plan « c’est pas moi qui ai commencé ») mais oui, on commence à dire un peu partout que l’un des maillons de la chaine est de trop, parce qu’il ne sert à rien :

Si l’agence ne fait qu’enregistrer la commande d’un client qui est fidèle à un TO, elle ne mérite même pas ses 12%. Si le TO ne sert qu’à mettre sur catalogue l’addition d’un vol régulier et d’un hôtel, il ne mérite que d’être contourné par l’agence qui achètera son vol d’un côté et l’hôtel de l’autre.

Mais nous, dans les agences, on sert à quoi ? J’ai réfléchi (ça m’arrive : j’ai un demi-neurone en parfait état de marche).

On ne sera jamais aussi performante qu’un moteur de recherche pour répondre à la question « qu’est-ce que vous avez en promo ? » 
Notre grande utilité, c’est le conseil. Encore faut-il pour ça qu’on connaisse nos clients et les produits qu’on pourrait leur vendre. Après, il suffit d’avoir un peu de persuasion pour orienter le bon client vers le bon produit.

C’est en listant les voyages d’étude récemment effectuées par les filles que je m’en suis rendue compte : on n’est plus invitées par les TO mais par les offices de tourisme, les chaines hôtelières et les réceptifs. Tous ces gens là ont tout intérêt à ce qu’on connaisse bien les produits pour qu’on puisse ensuite en parler à nos clients et les convaincre. Et surtout, qu’on sache vendre le bon produit au bon client.

Qui peut vendre le bon produit au bon client ? Sans doute pas une mutuelle ou une banque, encore moins un CE, facebook ou un site de vente plus ou moins privée. Qui alors ? La petite agent de voyages qui connaît ses clients et les produits. Ah ben tiens ! On l’avait peut-être enterrée oubliée un peu vite celle là.

Je reviens cinq minutes sur les programmes de certification des offices de tourisme. Ce truc est magique : avec les filles, on est certifiées par 14 destinations. On ne sait pas tout sur tout. Mais on a reçu de vraies formations théoriques, on est parties en voyages d’étude, on voit régulièrement les commerciaux canons des chaines hôtelières et ceux des compagnies aériennes impliquées dans ces programmes. Après, notre connaissance s’entretient par la vente, les retours clients, les mises à jour des informations par les fournisseurs et diverses lectures. On est des vraies expertes des destinations en question. Et on sait les vendre. Un client qui me demande le Kenya, le Maroc, l’Afrique du Sud, la Thaïlande, Maurice ou les Bahamas, tu peux être sûr que je vais le saigner faire signer.

J’aimerais que les prestataires fassent un peu confiance aux petites agents de voyages blondes. Je vais te donner un exemple. Moi, j’aime bien la clientèle « Maurice » (l’île, pas le poisson rouge du petit garçon de la pub pour la crème au chocolat) et la clientèle « Seychelles ». Les destinations sont faciles à vendre, elles ne sont pas trop bon marché (c’est à dire que quand tu regardes ce que tu as gagné en conseillant juste un ou deux hôtels, tu te dis que tu n’as pas travaillé pour rien), et plus souvent, les gens en ont pour leur argent et reviennent contents.

Tu es d’accord que cette clientèle elle est plutôt aisée. Du coup, il ne faut pas la perdre… Comme on n’attrape pas les mouches avec du vinaigre, on va la faire venir en lui faisant miroiter un cadeau.

Pour la fidéliser, on a lancé une offre magique sur notre site web dédié au Maroc : chaque client qui est allé à Maurice ou aux Seychelles dans les douze derniers mois reçoit une réduction de 15% sur son voyage au Maroc et un soin dans un spa partenaire (toujours au Maroc).

On explique au client qu’il doit juste nous donner une copie de son e-ticket, de son boarding-pass ou de la facture de son voyage à forfait. Ainsi, on sait où il a acheté son dernier voyage ou s’il est frequent flyer d’une compagnie aérienne (ça alimente le CRM de Big Boss, il adore).

En plus, on fait parler le client de son voyage dans l’Océan Indien (ce qui nous permet de comprendre ses goûts en matière d’hôtellerie) on lui prouve qu’on connaît les destinations en faisant des commentaires de brunes intelligents (on est toutes allées soit aux Seychelles, soit à Maurice donc on sait répondre aux remarques des clients) et si il y a une destination où on est incollables, c’est bien le Maroc !   

En accordant 15% de réduction sur un forfait Maroc, on ne gagne même pas la moitié de notre marge habituelle mais 

1) notre réceptif est content parce qu’il faut bien avouer que plus personne ne va au Maroc la destination a besoin d’être relancée ;

2) les clients se disent que pour avoir une réduction significative, il faut acheter des voyages chers (parce que 15% sur un voyage moisi à 229 €, c'est pas la réduc' du siècle non plus...)

3) on acquiert une nouvelle clientèle blindée à mort aisée (puisqu’elle est partie dans l’océan indien) qui ne connaissait pas l’agence (charge à nous de la fidéliser en mettant en valeur notre expertise, ce qui nous permettra de lui vendre autre chose plein pot) ; 

4) ça permet de fidéliser « notre » clientèle historique qui n’ira pas céder aux sirènes moisies voir ailleurs ; 

5) ça ne dégrade pas notre recette sur les autres desti puisqu’on fait croire qu’on n’est pas à l’origine de l’offre spéciale : on explique que cette offre est faite par nos partenaires au Maroc pour relancer la destination (ce qui est complètement faux : notre réceptif offre juste le soin au spa). Ainsi, les clients ne demandent pas ce type de réduction  quand ils achètent autre chose. (ben non, l’agence n’y est pour rien… vous savez bien qu’on vend toujours au juste prix, c’est pas le genre de la maison de brader ses compétences, on gagne tellement peu dans cette profession, ma pauvre dame, je ne mange même pas à ma faim, voyez combien je suis famélique)  

6) ça fait parler de nous.

Big-Boss a aussi négocié d’autres trucs avec une chaîne hôtelière bien implantée aux Caraïbes mais je ne vais pas te dévoiler pour les secrets de marketing de l’agence.
En attendant, attends-toi à des petites infidélités de la part de tes clients Seychelles et Maurice parce qu’on va tout faire pour te les piquer. Que tu sois une agence de voyages classique ou web, un TO, Groupon ou un CE. Pan ! Dans ta face.