Je me suis habituée aux semaines de 4 jours. On avait
négocié avec Big-Boss la fermeture de l’agence les lundis 24 et 31 décembre et
les mardis étaient fériés. Et puis la semaine dernière, le rythme infernal a
repris : 6 jours par semaine, je sue sang et eau pour concrétiser les
demandes qui arrivent à la chaîne à l’agence.
Depuis septembre, quand Coralie est partie en congés mat’
pour la deuxième fois, on n’est plus que 3, Amandine, Sonia et moi à traiter
les demandes « tourisme » long-courrier à l’agence (celles qui
rapportent…)
Jeff est dans son coin pour gérer ses voyages culturels, Max
et Isa traitent les sociétés, la compta et les demandes de courts séjours, et
la petite Mélody fait de son mieux pour nous rendre la vie facile : elle
répond au téléphone (qu’elle éconduise les fâcheux nous rend bien service…), rédige
et met en page les cotations, vérifie les vouchers et assemble les pochettes de
voyages. (3 jours par semaine seulement parce que le mardi et le mercredi, elle
est à l‘école)
Et Big-Boss pendant ce temps-là ? Il nous couve du
regard et est très gentil avec nous. Il va à la poste, à la banque, nous
apporte des cafés, tout en continuant à suivre et développer la clientèle. Et
il prépare activement l’ouverture de notre deuxième point de vente, comme si on n'avait pas avez de soucis comme ça, prévu en avril mais tenir un deadline, c'est mission impossible pour Big-Boss. (il
faut que je vous reparle de ce machin là…)
Bref, depuis le départ de Coralie, je n'ai plus de vie de femme trime. Je ne sais pas
si je vous avais expliqué qu’on a revu les plannings depuis septembre pour
réussir à tourner à 3 :
Globalement, Sonia arrive dès potron-minet (vers
8h, quoi…) pour s’avancer avant que les clients ne débarquent et elle s’en va
vers 18h (et elle ne travaille pas le samedi).
Amandine arrive vers midi et ne
part pas avant 21h (et ne vient pas le lundi).
Moi, je suis là tout le
temps : je me fais violence le matin pour être à l’agence au plus
tard à l’ouverture (à 10h de l’aube), je trime toute la journée, et je passe
mes soirées derrière mon ordi pour envoyer les cotations promises. Et tout ça 6
jours par semaine. Pour survivre, je dois me doper à toutes les substances que
je peux trouver (sushis presque tous les midis, cocaïne jus de fruits frais et
vitamines, 10 cafés par jour, spa et massage tous les dimanches).
Je te raconte ma life comme d'habitude, mais je sais que tu adores ça mais pour avoir l’impression de faire
autre chose de ma vie que travailler, le matin, quand je ne dors pas jusqu’à 8h55 comme une grosse feignasse anémiée (mon réveil sonne alors pile à l’heure pour que je puisse écouter les
chroniques de Sophia Aram, Stéphane Blakowski ou François Morel), je vais au
Club Med Gym ou je fais de la
luminothérapie.
Le soir, juste avant de quitter l‘agence, j’appelle Nico ou
mes coloc’ (selon l’endroit où je dors) et mes esclaves amours me préparent à dîner
(voire : ils m’ont attendue…). Bref, tous me traitent comme une
princesse ! Chacun a bien compris que tout l’hiver, personne ne pouvait compter
sur moi.
Je ne me plains même pas (je suis une grosse menteuse) de bosser autant : entre
décembre et mars, on fait la moitié du volume « tourisme » de
l’année, alors il faut qu’on soit un maximum sur le pont. Cet hiver, pas de
vacances, peu de RTT, interdiction de pause-pipi, des journées à rallonge pour tout le monde… mais c’est
bientôt fini. Le 4 février, Coralie rentre de congés mat’ et elle va souffrir sa race. Amandine et Sonia vont
prendre une petite semaine chacune en février, et puis ça sera mon tour :
Parce que mon patron est manipulable à souhait et dépendant de moi généreux : je trime comme une
dingue 5 mois cet hiver, mais Big-Boss m’a promis pour la fin de l’hiver 5
semaines de vacances gratuites (une sorte de récup) tous frais payés en Asie et
une prime de plusieurs milliers d’euros (j’ai déjà eu une prime exceptionnelle
de 2000 € en décembre, je la considère comme un petit acompte).
C’est du donnant-donnant (Big-Boss dit
« win-win ») : ma collègue est en congés maternité en très haute
saison : je donne tout ce que j’ai. Elle revient quand il y a moins de
boulot : je prends du temps pour me remettre d’aplomb. Vous direz que
faire bosser une agent de voyages (fût-elle cadre et chef d’agence) 65 à 75
heures par semaine pendant 5 mois, ça
n’est pas légal, et vous avez raison.
Mais j’adhère au principe de flexibilité et j'emmerde la CGT. C’est pour ça que
je n’ai pas supporté de ne pas pouvoir écouter les programmes normaux de France
Inter la semaine dernière « en raison d’un appel à la grève d’une certaine
catégorie de personnel suite à la modification des tableaux de services
entraînant le redéploiement de 4 salariés sur d’autres postes en interne
».
Voilà. La semaine dernière, je n’ai pas eu ni Pat. Cohen, ni
Pascale Clark, ni les chroniqueurs rigolos le matin dans les oreilles et
j’étais de mauvaise humeur. En plus, le programmateur musical de France Inter
les jours de grève est une espèce de fou drogué maléfique et sadique. On n’a eu
que de la musique de grands malades. Honte à toi, Didier Varrod si c’est toi
qui as fomenté le mouvement de grève pour nous moisir les oreilles de tes goûts
musicaux honteux. (OK, je n’étais pas obligée d’écouter mais je suis fidèle à
France Inter quoi qu’il arrive)
Que les gens se mettent en grève pour des détails de modif’
de plannings et bloquent l’accès aux programmes de la radio, ça me rend
hargneuse. Mais je reconnais cependant qu’on demande trop aux salariés. Je dois
avouer un truc : je suis inquiète pour l’avenir du secteur (du voyage, hein... pas de la radio publique...)
Si mon agence est ouverte de 10h à 20h (et qu’on répond au
téléphone pour les sociétés dès 9h) plus le samedi après-midi, c’est parce que
c’est à ce moment-là qu’on a des clients : ils nous demandent presque
d’être disponibles 365 jours par an et 24h/24. Sans cesse, nous avons cette
épée de Damoclès sur la tête : les sites web, ils ne sont jamais malades,
en formation, en congés maternité, en vacances, à pianoter sur Facebook ou en pause-déjeuner.
Les agences de voyages ont perdu les voyages « faciles
à composer et réserver » que les clients comparent et achètent tout-seuls
sur le web discrètement depuis leur bureau en open-space ou à minuit, au lit,
sur leur i-pad. Il nous reste le sur-mesure tortueux et les vacances des
clients qui préfèrent appeler leur agent de voyages préféré parce qu’ils n’ont
pas le temps de tout comparer.
J’entends chaque jour mes clients dire « proposez-moi quelque chose de vraiment bien ; je vous
fais confiance, mon petit ». Le jour où les moteurs seront aussi
intelligents que nous et qu’ils donneront une information fiable, il nous
restera quoi ? Pas grand-chose. Mais on sera moins fatigués par
l’enchaînement des journées à rallonge. Et on pourra à nouveau écouter les
programmes de France Inter puisque la grève a cessé samedi soir. C’est déjà ça.
tu nous fais voyager, j'aime ;-)
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