Si je devais définir Big-Boss en un mot, je choisirais
« terrain » : il connaît tous les clients de l’agence et
pourtant, il n’est jamais là… il passe sa journée « en clientèle ». A
part que je vois bien qu’il n’arrive pas bien souvent à l’agence avant 16
heures, je ne comprends pas trop en quoi consistent toutes ses visites…
Ce que je sais, c’est qu’il bichonne nos clients, raconte sa
life, fait parler des gens, assure la promo de l’agence et distribue ses cartes
de visite. Sa phrase magique, c’est « que vous n’ayez pas d’idée ou que
vous ayez un projet de voyage bien précis, appelez à l’agence : on vous
fera ça aux petits oignons ».
En tout cas, c’est efficace, parce que quand il passe à
l’agence en fin d’après-midi, il nous rapporte des demandes de devis
griffonnées sur des nappes en papier ou des dos de cartes de visite. Ce
business, il va vraiment le chercher avec ses petits bras musclés…
Après, c’est à nous de concrétiser parce que Big-Boss a
plein de qualités mais…
- il écrit comme un cochon et les notes qu’il nous rapporte
sont illisibles (Jeff a des notions d’égyptologie mais il ne comprend pas les
hiéroglyphes de Big-Boss)
- c’est le roi de la tchatche, ce qui est bien joli… mais il
n’écoute qu’à moitié nos futurs clients… alors quand on les rappelle pour
savoir ce qu’ils veulent, on doit tout recommencer à zéro. Parce que Big-Boss
ne pose pas assez de questions.
- il ne dit jamais non et c’est comme ça qu’on se retrouve
le 4 juillet avec une demande toute simple comme « un petit hôtel de charme
à moins de 2 heures de vol direct de Paris pour un départ dimanche, retour
vendredi, à moins de 400 € par personne » (oui, aux petits oignons, on
vous a dit…)
Bon… moi, je me mets à rêver que Big-Boss passe plus de
temps à l’agence. Quand il est là toute la journée, (ça lui arrive de temps en
temps…), il tripatouille son CRM… je vous ai déjà parlé de ce truc moisi qui
est la mémoire de l’agence ! Toutes les demandes, tous les goûts, toutes
les coordonnées des gens qui nous ont demandé un truc une fois sont dedans… et
c’est très instructif :
Grâce au CRM, Big-Boss connaît tout de la vie de nos
clients. Le CRM nous permet de maintenir la demande avec des mailings plus ou
moins ciblés… mais aussi de remarquer plein
de trucs. En particulier que « même si le panier moyen n’a pas beaucoup
évalué depuis 3 ans, l’écart type s’accroit avec régularité ». C’est pas
que je suis vraiment inquiète pour l’écart type qui s’entend mais là, j’ai
crié « qu’est-ce que c’est que cette chose ? ». Big-Boss est
parti dans des explications tordues mais en gros, ça veut dire qu’on a de plus
en plus de clients friqués et de plus en plus de clients qui cherchent du pas
cher… et que le milieu, ça ne marche plus (Big-Boss devrait prévenir Bayrou de
cette intéressante tendance…)
L’autre jour, pour la fameuse réunion du « bilan du
premier semestre », Big-Boss nous a tous réunis à l’île de Ré… on devait
faire du vélo et se baigner… mais il a plu tout le week-end, l’air était à
17° et l’eau genre à 14°. Du coup, on a
bossé non stop…
Emmitouflés dans des pulls en laine, on a réfléchi à ce
qu’on pouvait faire pour que l’agence (qui stagne depuis deux ans) retrouve la
croissance d’antan.
C’est bien beau d’avoir des idées pour imaginer le futur
mais déjà… il faudrait comprendre comment marche le présent… les demandes qu’on a en ce moment me laissent
perplexe : j’avoue ne pas bien saisir les clients. La démo de Big-Boss
(qui nous a prouvé par A+B que c’était encore plus compliqué que ce qu’on
imaginait) ne m’a pas rassurée. Je vous explique…
Tout le mois de juin, il a ressorti des fiches clients de
son CRM magique, il a passé des coups de fil, a torturé les clients pour savoir
pourquoi on n’entendait plus parler d’eux… bref, il a essayé de
comprendre ! Et ce dont on se rend compte, c’est qu’on perd des clients…
Je ne parlerai même pas des clients qui disent que
« ben non, depuis deux ans, on n’a pas voyagé parce que les temps sont
durs » (on imagine mal que depuis 24 mois, les gens travaillent
d’arrache-pied et prennent leurs vacances uniquement chez Mémé). Là, j’ai dit à
Big-Boss d’aller les voir et de leur faire un procès pour mensonge éhonté s’ils
sont bronzés…
Mais Big-Boss a eu des remarques intéressantes :
« oh vous savez, on a juste fait des petits voyages
tout simples, on n’allait pas vous embêter avec ça » (alors non Josette,
ça ne m’embête pas du tout de te réserver en 5 minutes un truc que tu as choisi
toute seule sur un catalogue moisi reçu par le TO en direct parce qu’on t’a
vendu un package de chez eux il y a 3 ans et que quand tu as renvoyé le
questionnaire de satisfaction, tu leur as donné ton adresse…)
« on a réservé sur internet, c’est moins cher ».
Alors là, Big-Boss passe deux heures à expliquer que non… tous les canaux ont
les mêmes prix et que d’ailleurs… les clients peuvent ne pas se limiter aux
pure-players mais faire un tour sur www.bigboss-voyages.fr
« parce qu’on a tous à peu près les mêmes offres », que les clients
peuvent regarder sans s’engager et ensuite réserver en ligne, en boutique ou au
téléphone… ils auront en plus l’assurance de pouvoir nous joindre quand ils
veulent et Léa, Sonia, Amandine ou Coralie seront leur unique interlocutrice
bla bla bla…
« oh ben maintenant, avec les low-cost, on se
débrouille tous seuls ». Là aussi, Big-Boss monte sur ses grands chevaux, explique
que les low-costs ne sont pas forcément moins chers, qu’avec la force d’achat
de notre groupement, on a des super conditions avec tout le monde et que tiens,
la prochaine fois… comparez ce que vous trouverez sur des compagnies low-costs
avec ce que vous vous concocter mes collaboratrices (j’attendais le « aux
petits oignons » mais ça n’est pas venu)
Après, Big-Boss nous a demandé de reprendre nos cahiers de
suivi clients (eux aussi avaient fait le voyage jusqu’à l’île de Ré) et de
noter sur des post-it pourquoi on avait perdu un dossier (post-it jaunes) ou
comment on avait réussi à signer des dossiers (post-it de couleur).
Pas facile : Dingue le nombre de gens qui nous ont
sorti des prétextes moisis pour me pas confirmer leurs dossiers. Mes trucs
préférés, c’est les trucs dramatiques « non, on ne va pas pouvoir partir
parce que… heu… ma belle-mère est en train de mourir » (oh, je suis
désolée de ce que vous vivez, mais des vacances vous feraient du bien :
rien de tel de se retrouver en couple pour vivre quelque chose de positif après
une telle épreuve…)
Variantes :
- « je dois subir des examens médicaux ; je suis
très fatigué en ce moment » (là, je propose une thalasso ou « un
séjour plus tranquille pour ne pas vous fatiguer davantage : changer d’air
vous ferait tellement de bien… »)
- « mes vacances ont été refusées » (là, je
rappelle 15 jours après pour savoir si de nouvelles dates ont été acceptées et
je me retiens d’appeler la DRH de la boite de mon client)
Non… vraiment… pas facile de savoir pourquoi un client ne
confirme pas… Parfois, les clients passent avec des offres de trucs
« qu’ils ont vu sur internet ». On arrive en général à démonter le
produit auprès du client et à confirmer… mais la plupart du temps, on ne sait
pas pourquoi ça ne passe pas… et encore moins comment on fait pour que ça
passe… c’est vrai que quand on me dit « vous aviez la meilleure
proposition », je rosis un peu mais je ne demande pas à voir celles des autres
agences… je devrais…
En tout cas, avec nos post-it, on a ensuite analysé le
pourquoi du comment en les repositionnant sur des paper boards dans le salon de la maison de Big-Boss (avec
vue sur le jardin pluvieux) comme si on faisait un puzzle. Ce qui est beaucoup
revenu, c’est qu’on est très souvent positionnés sur des produits haut de gamme
et que les gens veulent plutôt des trucs un peu simple mais pas cher. Quitte à sacrifier
un peu la qualité pour ne pas dépasser un budget un peu serré...
Mais devons-nous vraiment communiquer sur des produits de
base genre « séjours en club de 8J/7N » ou city break sans prestation
additionnelle ? J’ai rappelé à Big-Boss que justement, on avait du mal à
être compétitifs quand on proposait un truc aussi simple qu’un séjour club ou
un city break. Parce que le client fait ses calculs tout seul…
On gagne bien notre vie sur des dossiers sur-mesure chiadés
avec de belles prestations, pourquoi se battre sur des week-ends Europe à 250
€ ? (on on va gagner au mieux 80 € pour un couple)
Coralie a bien résumé le truc : notre défi,
c’est
- de prouver qu’on leur apporte une vraie solution de
facilité : un coup de fil et on fait tout le boulot pour eux
- de rassurer les clients en prouvant que comme c’est notre
métier, on va plus vite qu’eux dans les
recherches
- de les surprendre en leur proposant des vraies solutions
pour agrémenter leurs séjours. (pour ça, même pour un city break, on
propose les activités d’Expedia.fr : ça donne plein de bonnes idées pour
habiller un programme et en plus, on touche une commission). Ça prend un peu de
temps, mais ça augmente le panier moyen… et le client est content parce qu’on
lui a mâché le travail.
Bref, on doit être capables de pondre des trucs chadiés sur
des longs circuits (qui rapportent une marge indécente) et en même temps, de
proposer des trucs simples, carrés, qui donnent envie et qui répondent aux
envies des clients à des petits budgets… (et on vend ces trucs là en deux coups
de cuiller à pot)
Et là, Sonia a grommelé « ouai, on doit faire le grand
écart ». L’expression a beaucoup plu à Big Boss qui a dit « mais
c’est exactement ça : répondre à chaque demande avec ce qu’attend le
client ». Là, il a sauté partout, poussé des petits cris et nous a fait un
schéma avec des feutres de toutes les couleurs pour nos expliquer qu’ « on
doit être capables de faire de l’hyper personnalisé comme du low cost »
Et il a posé la question magique : « Allez,
dites-moi ce que les clients aiment dans le low-cost ».
J’ai pensé à Nico : C’est frais, c’est facile, c’est
flexible, c’est fun, c’est jeune, c’est rigolo et c’est pas cher…
Et là, on a débattu comme des fous. C’était très
intéressant… Et Big-Boss est parti dans un délire lyrique : il veut segmenter :
et donc séparer la clientèle haut de gamme de la clientèle friande de solutions
low-cost.
On avait parlé l’an dernier de prendre un bureau dans
l’immeuble au dessus de l’agence pour mettre la compta et les sociétés (on
manque cruellement de place à l’agence) mais il veut aller plus
loin : sa nouvelle idée, c’est d’ouvrir un deuxième point de vente.
Notre agence historique deviendrait un espace premium avec
atmosphère cozy, déco épuée, et on ne vendrait que des prestations un peu luxe
(des séjours dans des beaux hôtels, des itinéraires à la carte, les voyages
culturels de Jeff) en redéfinissant la promesse de personnalisation et de
disponibilité de l’agence (on demanderait aux clients de prendre rendez-vous,
on surveillerait notre langage, on ferait filtrer les appels par une espèce de
standardiste etc… Bref, on bosserait dans du coton)
Notre nouveau point de vente « low cost » serait
un truc très lumineux, fun, avec des vendeurs décontractés. On utiliserait au
maximum les nouvelles technologies (avec incitation aux clients de faire leurs
réservations sur le site internet de l’agence) mais avec toujours la promesse
d’assistance de vendeurs qui seraient toujours dispo pour aider les clients
avant, pendant et après le voyage « des trucs bien, pas chers, aux petits
oignons mais avec moins de chi chi autour »
Dans la rue de l’agence, il y a justement une boucherie qui
va bientôt fermer. La reprise du bail coûte des clopinettes, il y a assez
d’espace pour que Big-Boss et Isa y aient un bureau chacun et on peut aménager
un beau comptoir avec 3 ou 4 positions de travail.
Du coup, dans notre agence, on serait moins entassés, on
pourrait aménager des bureaux individuels pour recevoir nos clients en toute
confidentialité.
Bref, la clientèle friquée de l’agence serait incitée à
dépenser encore plus dans un espace propice aux produits haut de gamme et la
clientèle qui cherche des voyages « au meilleur rapport qualité
prix » trouverait son bonheur dans le point de vente low cost où ils
achèteraient des voyages en restant debout ou en utilisant le site web de
l’agence.
Si vraiment, la clientèle moyen de gamme disparaît et que
les extrêmes se développent, l’agence Thomas Cook qui est en face de chez nous
n’a qu’à bien se tenir… parce qu’on va tout récupérer… Mon Big-Boss est un
génie. Il aurait dû proposer ses services au Modem !
Parce que si le
marché du milieu n’existe plus, il aurait pu conseiller à Bayrou de se
repositionner ou de jeter l’éponge ; ça lui aurait évité une taule aux élections
présidentielles…
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