Je ne sais pas si vous avez remarqué… mais les Offices de Tourisme des pays étrangers rivalisent d’imagination depuis quelques années pour former les agents de voyages aux spécificités de leurs pays… Je crois que c’est le Canada qui a lancé la mode : les agents sont désormais labellisés, certifiés, spécialistes… chacun y va de sa propre sémantique et rien que moi, je suis à la fois « experte du Maroc », « Aussie specialist » et « Tiare Tahiti ».
On est plus de 2000 experts du Maroc, donc ça ne veut pas dire grand chose… Amandine, qui est certifiée spécialiste du Canada passe des heures à renouveler son certificat chaque année… et moi, j’ai abandonné en route le programme Hong-Kong quand j’ai compris que derrière les pages que je venais de remplir, il y en avait plein d’autres cachées…
Ai-je vraiment besoin de remplir 40 pages de questionnaires sur un site web pour être capable de proposer 3 jours à Hong-Kong au retour d’Australie à mes clients : « une vraie immersion à la fois dans la Chine traditionnelle et la Chine moderne ; des contrastes à chaque quartier » (ça marche toujours le coup des contrastes...) et là, j’enchaine sur la symphonie des lumières, le marché de nuit à Kowloon, le Victoria Peak et hop ! Emballé ! Vous signez ça là… 25% d’acompte et le solde 30 jours avant le départ, merci…
Ces programmes de certification doivent occuper une bonne partie du temps des bouffons marketeurs des offices de tourisme étrangers… ça leur évite de nous pondre des slogans improbables genre « les Antilles cet été ? une sacrée bonne idée ».
Note pour les lecteurs pointilleux : Je sais que « les Antilles, c’est pas l’étranger » mais cette pub’ a vraiment existé et elle a décoré ma classe de BTS ; ça m’a traumatisée…
Ils ont aussi d’autres avantages : par exemple, on peut trainer sur meetic FaceBook pendant des heures (juste penser à laisser à laisser une fenêtre ouverte sur un programme de formation quelconque et de temps à temps, souffler que « pff… c’est long ! »)
Sérieusement, deux avantages :
1 – les cadeaux : on est pourries-gâtées par les OT qui nous envahissent de bouquins, de gadgets à la con genre stylos, porte téléphones portables (en plus d’être joli et de bon goût, c’est vraiment utile…), blocs de post-it (Isa’ pourrait ouvrir un magasin de post-it tellement on en a) et de t-shirts en taille XXXXL. Ahhh ! Les t-shirts XXXXL ! Parfait pour faire pyjama quand on manque de mâle protecteur l’hiver ! On peut aussi s’en servir comme chiffons pour faire le ménage ! On ne leur a pas dit aux fabricants de t-shirts que dans les agences, on doit avoir genre 26 ans de moyenne d’âge et qu’on est attentives à notre look (et qu’on fait du S) ? Ben on va quand même te prendre un L pour la grosse Isa’… parce qu’elle, on imagine bien qu’elle n’a pas vu le loup depuis 1000 ans de mâle pour la réchauffer…
2 – On est invitées à des voyages d‘étude. Qu’est-ce que vous croyez ? Un fois identifiées comme « spécialistes », on nous bichonne ! Bien sûr, vu le nombre de certifiés sur la Polynésie ou la Nouvelle Calédonie, ne rêvez pas les filles ! mais les pays tordus qui n’intéressent personne un peu hors des sentiers battus, ça peut marcher… L’air de rien, c’est grâce à mon statut d’Aussie Specialist que je suis allée deux fois en Australie… (à l’occasion, penser à ne jamais s’inscrire au programme de certification du Kazakhstan dés fois qu’ils aient envie de m’envoyer là bas). Note pour les lecteurs pointilleux : Il n’existe pas… j’ai vérifié… (ouf !)
De toute façon, plutôt que de me revendiquer « spécialiste destinations », je préfère me définir comme « spécialiste des clients à la con » : je souhaite donc être certifiée par le ministère des maladies mentales comme spécialiste des pathologies suivantes :
- Les voyageurs de noce qui devraient renoncer au mariage : s’ils n’arrivent pas à se mettre d’accord sur la destination de leur lune de miel, c’est mal barré pour passer la crise des 7 ans !
- Les gens qui veulent « un voyage très original axés sur les rencontres avec les indigènes » mais « en groupe en guidé en français » (Bien sûr, pour aller au Panama, la meilleure solution, c’est les départs garantis de FRAM à 50 pax dans le bus)
- Les clients qui connaissent mieux que tout le monde les systèmes de tarification et de yield management (ceux là, au bon d’un moment, je les regarde bêtement, je leur dis que je ne suis pas assez qualifiée pour leur demande « trop pointue » (quelquefois, être blonde, c’est bien pratique…) et je leur envoie Max’ qui parle très très vite et explique tout dans un jargon pas possible que même nous, on a du mal à suivre…).
Une fois, à cause de son calme olympien et de l’exhaustivité de ses connaissances en Amadeus, il a fait pleurer une cliente ! Ça marchait aussi avec les clients SNCF qui veulent aller de Séverac-le-Château à La Souterraine (mais sans changer à Périgueux). On a arrêté la vente SNCF aux clients de passage il y a 3 ans, et c’est pas dommage…
- Ceux qui veulent partir 15 jours (pas 14 ou16… 15 on t’a dit) et qui sont libres du 7 au 22 août. « Vos dates sont un peu flexibles ? » « Ben.. je veux partir le 7 et revenir le 22 pour être 15 jours sur place. » « Ah… si vous aviez pu vous occuper de ça avant le 4 août, ça aurait été un peu plus simple »
- Ceux qui veulent un vol de nuit entre Paris et NYC (à l’aller) pour arriver au petit matin à NYC et profiter de la journée. (Oui, bien sûr, et puis au retour, je vous réserve un NYC-CDG de jour pour que vous puissiez arriver à Paris le soir et vous coucher dans votre lit pour être en forme au bureau le lendemain matin… Alors voici une carte du monde et je vais vous expliquer le coup malin des fuseaux horaires…)
- Mes préférés : ceux qui ne comprennent mais alors vraiment pas pourquoi il n’y a pas de vol direct entre Perpignan et Copenhague. « Mais si Léa, je vous assure, regardez, moi par exemple… j’ai une maison à côté de Perpignan et mes beaux-parents habitent au Danemark ; rien que nous, on achèterait au moins 8 billets par an ! » (Doux Jésus, avec ce volume d’affaire géant, j’appelle tout de suite SAS pour leur souffler la bonne idée !). En général, c’est les mêmes qui râlent contre « le monopole d’Air France sur PGF-PAR » (Ben vas-y, crée toi-même Perpignan Airlines mon garçon…)
Et encore, je ne m’étends pas sur…
- Le vicieux qui veut savoir si on peut lui dire s’il y aura des femmes seules sur un GIR (achète des rando’ chez Terdav, y’aura de l’institutrice aigrie à moustache, c’est leur fond de clientèle)
- Les vieilles qui ont peur de l’avion et qui ont toutes les stat’ des crashs aériens (classés par date, par pays, par compagnie…) et qui insistent pour être assis au dernier rang (pour en réchapper). Presque aussi drôle que les sièges dans le sens de la marche (du train…). Ils ne me manquent vraiment pas ceux-là…
- Le client qui ne veut « plus jamais entendre parler de British Airways » (ceux là, en général, il est probable qu’ils disent « Brigitte Airways ») : parce qu’une fois, on lui a perdu son bagage. (variante : à Heathrow, c’est compliqué parce que c’est tout écrit en anglais). Celui-là, penser juste pour rire… à lui vendre du Iberia (qui ne perd jamais un bagage, c’est bien connu…), et avec une correspondance à Madrid un peu courte … parce que l’aéroport de Madrid est tellement fonctionnel… (ah, mais c’est pas écrit en français non plus… alors sache que « salida », ça veut dire « va t’en »)
- Ceux qui s’étonnent que le retour du 30 août soit plus cher que celui du 9 septembre. « mais pourquoi ? » (ah ça, c’est un mystère ! tous les ans, les compagnies aériennes ferment les classes de résa par cher le 30 août, je n’arrive pas à m’expliquer la raison). Quelqu’un pourrait souffler à First que ça ne serait pas mal d’écrire « le yield management pour les nuls » ?
- Ceux qui trouvent hal-lu-ci-nant que fin octobre, les vols sur les Maldives soient « déjà » full du 20 décembre au 3 janvier (il se trouve qu’exceptionnellement, cette année, Noël tombe le 25 décembre et le réveillon, le 1er janvier). « Mais pourquoi les compagnies aériennes n’ajoutent-elles pas des vols supplémentaires ? » (grande question : un coup de baguette magique et hop ! un A380 tout neuf, un équipage frais et dispo et un vol direct Perpignan-Copenhague…)
Alors, mes sœurs, rappelez-vous : même avec les clients psychopathes… Accueil. Disponibilité. Ecoute. Reformulation. Pédagogie. Un peu d’esbroufe. Conseil. Persuasion. Sourire. Et n’oubliez pas de proposer la location de voiture en catégorie C (à peine plus chère que la catégorie A), l’assurance-toutes-causes et demandez les projets de voyages pour les 36 prochaines années pour alimenter le CRM de Big Boss tout pourri qui marche pas
Et restez calmes !